Cet article présente le point de vue de l’auteur et ne représente pas forcément celui d’EcoGeste.ch.

Dr Philippe Roch, ex-secrétaire d’Etat à l’Environnement

L’idéologie de la croissance, qui semble avoir contaminé la plus grande partie du genre humain, repose sur une absurdité et sur un mensonge. L’absurdité est de croire qu’un système puisse croître indéfiniment dans un monde fini. Le mensonge est de cacher que nous sommes en réalité déjà en décroissance depuis de nombreuses années. Nous épuisons les ressources naturelles. La production industrielle croît, mais les ressources naturelles dont elle dépend décroissent. Le bilan global est une décroissance du capital. Malheureusement les économistes classiques ne tiennent pas compte du capital naturel, raison pour laquelle ils ont créé l’illusion de la croissance.
La croissance pose la question des limites. Jusqu’où est-il possible de croître sans épuiser les ressources et sans détruire la biosphère ?
La pression de la société industrielle est déjà mesurable : augmentation de 30% du gaz carbonique contenu dans l’atmosphère, deux tiers des écosystèmes sont surexploités, et il faudrait 3 Planètes pour que l’ensemble de l’humanité puisse vivre au niveau des Suisses, ou 7 pour vivre au niveau des USA.
Qu’en sera-t-il lorsque des peuples beaucoup plus nombreux auront adopté notre style de vie, et que la nature aura encore reculé ?
Les techniques modernes efficaces pourraient alléger la pression que l’homme exerce sur la nature : énergies renouvelables, réduction de la consommation de ressources et d’énergie pour le même produit, économies d’énergie. Nous pourrions aussi éliminer les techniques qui polluent et surtout celles qui laissent des traces délétères sur une longue durée, comme l’énergie nucléaire et les produits chimiques persistants.
Mais la politique tient un discours incohérent entre croissance et préservation des ressources, raison pour laquelle elle ne parvient pas à mettre en place des instruments efficaces d’incitation à mieux et moins consommer.

Se réconcilier avec la Terre
Nous devons nous réconcilier avec la terre. Notre crise écologique est une crise morale, une crise des valeurs provoquée par une rupture entre l’homme et la nature.
« Les anciens Lakotas étaient sages. Ils savaient que le coeur de l’homme s’endurcit quand il s’éloigne de la nature; ils savaient que le manque de respect pour tout ce qui croît et vit aboutit très vite au manque de respect pour les hommes. C’est pourquoi ils veillaient à ce que les jeunes restent proches de l’influence pacifiante de la nature. » Luther Standing Bear, chef Lakota (Sioux), XIXe Il faut donc inventer un autre système économique qui permette de satisfaire les besoins essentiels de tous, tout en réduisant la pression sur la nature. Il faut aussi stabiliser la population humaine à un niveau qui permette un juste partage des biens, sans destruction des ressources.
La nature nous offre un modèle idéal. Elle fonctionne à 100% à l’énergie solaire et géothermique, produit chaque année des milliards de tonnes de bois, d’eau douce, de poissons, de viande, de plantes, de médicaments, d’oxygène, sans croissance globale et sans aucun déchet qui ne soit immédiatement recyclé. Et ceci depuis des millions d’années. Ce fonctionnement optimal de la nature repose sur des qualités essentielles que nous ferions bien d’imiter : la diversité, la complémentarité et l’équilibre dynamique entre tous les êtres vivants.

C’est cela le développement durable.

L’Illustré 13/10